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Entretien avec Djamel Zenati : « La modernité n’est pas un slogan »
- Par Mohamed ZIANE-KHODJA
- Le Jeune Indépendant, semaine du 05 au 11 mai 1992
Djamel Zenati, l’une des figures de proue du Mouvement Culturel Berbère (MCB), dans les années 1980, homme politique, professeur de mathématiques…
Djamel Zenati, un nom qui nous revient comme un leitmotiv, dès qu’il s’agit de parler du Printemps berbère. Les affres de la prison, de la torture…, il en connaît quelque chose. Il va partout, là où on l’invite, pour donner des conférences. Douze ans après, écoutons cet enseignant de mathématiques au Technicum d’Akbou, se confier au Jeune Indépendant.
LE JEUNE INDÉPENDANT : Que devient Djamel Zenati depuis les événements de 1980 ?
DJAMEL ZENATI : Je suis toujours le militant de la cause. Actuellement, je me suis investi totalement dans le mouvement culturel berbère.
LE J. I. : Douze ans après, comment voyez-vous le Printemps berbère ?
DJ. Z. : D’abord, en ce qui concerne les événements eux-mêmes. Pour moi, cela a constitué un tournant historique dans la revendication tamazight. C’était une tout autre conception des choses ; une date charnière… Avant 1980, la lutte était d’abord clandestine. C’était plutôt une lutte que menaient des groupuscules. Et il n’y avait pas de formulation claire de la revendication. Le Printemps amazigh était justement l’occasion de poser le problème dans la rue, publiquement… Ce n’était plus des groupuscules, mais une mouvement de masses de plus en plus large. Il avait commencé à l’université avec l’interdiction de la conférence de Mammeri. Puis, il s’était étendu sur toutes les couches de la société, à savoir des comités de lycées, de quartiers, de villages, d’usines (en dehors des syndicats). Il était d’une spontanéité remarquable. Malheureusement, on continue de considérer que le peuple algérien est constitué d’assistés, d’adolescents, de figurants… On avait également établi un parallèle entre la revendication amazigh et les libertés démocratiques. Ce qui nous a valu, quand même, des sympathies. On s’était démarqué de la violence. Psychologiquement, cela a donné du courage, et semé de l’espoir chez les Algériens. Le Mouvement avait même tenté de sortir de la Kabylie, pour se porter sur Alger, par exemple, grâce à une jonction universitaire. Il y avait, effectivement, un semblant de remous au sein de quelques unités de production, telle la SNVI de Rouiba, mais cela restait beaucoup plus un mouvement estudiantin. Ainsi, on peut dire, sans risque de se tromper, qu’Avril 1980 a donné Mai 1981 à Béjaïa. Ce qu’il faut relever, malgré le fait que nombreux sont ceux qui essayent de passer sous silence, d’occulter, d’oublier, les événements de 1981. C’est qu’ils n’étaient pas une simple répétition de ce qui s’était passé à Tizi-Ouzou. Non ! c’était un approfondissement de la dynamique engagée par le Mouvement de 1980, le Printemps berbère. On peut même dire que c’est après les événements de 1981 que le Mouvement amazigh avait véritablement décollé.
LE J. I. : Et pourquoi spécialement des étudiants ?
DJ. Z. : Des étudiants, car c’est une catégorie de citoyens qui ont un certain degré d’instruction leur permettant de s’ouvrir à des débats féconds. Et puis, il y avait le problème de la démocratie que l’on discutait beaucoup plus à l’université qu’ailleurs…
LE J. I. : Comment avez-vous vécu la répression du Mouvement ?
DJ. Z. : Elle était d’une sauvagerie indescriptible.
LE J. I. : Vous avez connu aussi la prison, la torture…
DJ. Z. : Ma personne n’est pas importante. Et d’ailleurs, c’est ma contribution, peut-être, qui pourrait l’être…
LE J. I. : Qu’est-ce que la culture, selon vous ?
DJ. Z. : C’est quelque chose de très vaste. Ça englobe tout. D’abord, elle est dynamique. Elle ne peut pas être statique. Elle évolue avec la société. C’est tout ce qu’un peuple produit. Ce sont tous les moyens, tous les modes d’expression d’un peuple. La culture, en général, est un ensemble d’instruments d’émancipation. C’est là le véritable problème. Il faut que le peuple puisse, un jour, construire lui-même la modernité. Celle-ci n’est pas un slogan. C’est un certain nombre de principes. Un peuple qu’on coupe de sa culture, de son histoire, de ses langues… est un peuple anesthésié, pour ne pas dire mort.
LE J. I. : Comment avez-vous épousé la cause ?
DJ. Z. : En tant qu’individu, il y a d’abord la prise de conscience qui est due à l’influence immédiate du milieu. Je suis berbérophone, j’ai certaines coutumes millénaires… Mais, le pouvoir n’admet pas qu’on le soit. Déjà, au départ, on cultive le sentiment d’être marginalisé. Personnellement, je ne m’identifie pas au « schéma officiel, plat », parce que dans ma réalité concrète, ma vie quotidienne, je vis un autre type de culture. Bien sûr, j’ai subi l’influence de toutes les luttes menées pour cette cause. En tant que jeune, j’ai subi l’influence de l’académie berbère de Paris. Je recevais et lisais les revues « Imazighen », « Itij » (le soleil)… Il y avait aussi, à l’époque, vous vous en souvenez tous, la chanson dite moderne de Idir et Ferhat.
LE J. I. : Si vous nous parliez un peu du MCB ?
DJ. Z. : Le MCB (Mouvement Culturel Berbère) a des textes, un rapport de synthèse issu du IIe Séminaire. Il travaille sur la base de ces textes. C’est un Mouvement qui n’a pas d’agrément, qui est donc illégal par rapport aux textes officiels. Illégal parce qu’on n’a pas déposé de demande d’agrément. Même sur le plan de la structure, il y a des problèmes : nous avons des structures horizontales, des Commissions (ouvertes), par wilaya, qui coordonnent leurs activités à travers une Commission nationale. Cela crée, tout de même, un certain nombre de confusions. Il va falloir opter pour un autre type de structuration. Je crois que les choses, maintenant, sont mûres.
LE J. I. : Pourquoi un Mouvement ?
DJ. Z. : Tamazight ne peut en aucun cas constituer un projet de société, ni se circonscrire dans un programme de parti politique. Ce doit être le problème de tout le monde. On peut diverger, être de sensibilité politique différente, mais converger sur le problème de tamazight.
LE J. I. : Tout à l’heure, je vous ai entendu disserter sur la presse…
DJ. Z. : C’est vrai qu’après Octobre 1988, après la promulgation de la Constitution de 1989, un certain nombre de libertés ont été garanties constitutionnellement. Mais, il faut savoir distinguer entre les libertés formelles et les libertés effectives. Entre le droit et la possibilité de créer un journal, il y a un monde. Il n’y a pas seulement le problème de la pratique journalistique ou de la culture médiatique, mais un autre type de moyens. C’est la raison pour laquelle la presse qui se veut indépendante en verra de toutes les couleurs. Et puis, malgré tout, surtout après les derniers événements, il y a aussi la complicité d’une certaine presse dans le pourrissement de la situation politique en Algérie.
LE J. I. : Vous considérez-vous censuré, vous aussi ?
DJ. Z. : Absolument ! On est totalement délaissé. Personnellement, j’ai subi la censure de certains journaux. Et c’est vraiment regrettable !
LE J. I. : Comment vivez-vous l’après-Octobre 1988 ?
DJ. Z. : C’est un horizon nouveau qui se dessine…
M. Z.-K.
Texte paru dans Le Jeune Indépendant, hebdomadaire (maintenant quotidien) national d’information –Algérie, semaine du 05 au 11 mai 1992.