Information et désinformation-manipulation à l’ère Internet. Ou Djamel Bensmaïl, le messager empêché de dire la « vérité »

Information et désinformation-manipulation à l’ère Internet. Ou Djamel Bensmaïl, le messager empêché de dire la « vérité »

Djamel Bensmaïl devant l’une de ses toiles…

 

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (philosophe allemand, 1770- 1831) disait: « L’expérience et l’histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire, qu’ils n’ont jamais agi suivant les maximes  qu’on aurait pu en tirer. »

L’information à l’ère Internet échappe à tout contrôle, même si elle est tout le temps malmenée par les « puissants » de tous bords. Elle est en voie de libération des griffes de ces oligarques qui font et défont le monde, qui « fabriquent le consentement », comme dirait Noam Chomsky. Elle n’est pas encore tout à fait libre, mais elle se libère tout de même. Et dans son élan de libération, l’information, en couvant le message de « vérité », qu’elle soit subjective ou objective, tente tant bien que mal de sortir indemne de toutes sortes d’attaques qui l’assaillent pour l’empêcher de parvenir aux masses. Lesquelles masses on voudrait manipuler à des fins inavouées. Ce n’est pas à tort que l’on dit que la première victime de toute guerre c’est la « vérité ». Le « savoir », savoir la « vérité », éveille et stimule les consciences, affranchit les esprits de la sujétion par la manipulation. Tandis que l’ « ignorance », antinomique de « savoir » [être informé], nous incite à adopter des reflexes d’automates programmés, en agissant pour le compte de ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre. L’«ignorance » [être désinformé, manipulé] fait de nous des sujets vidés de notre âme et conscience, des monstres capables de pires vilenies. L’« ignorance » mène à la confrontation belliqueuse, à la vindicte, à la haine, au racisme, à la violence, à la guerre… À l’autodestruction. L’ « ignorance » et la manipulation des masses nous font adopter des attitudes irrationnelles, des comportements qui échappent à tout entendement. Nous devenons dès lors des meutes, prêtes à nous acharner sur la « proie » [victime] que l’on nous désigne. Nous cessons d’être des Hommes, femmes et hommes, des groupes sociaux, des êtres humains. L’information à l’ère Internet tente de s’affranchir en même temps qu’elle tente de nous affranchir de l’« ignorance » et de la manipulation. L’information à l’ère Internet essaye de déserter tant bien que mal les rangs des « puissants », des oligarques, et de « faiseurs d’opinions », pour se ranger aux côtés des masses. Les différents réseaux sociaux, et autres plates-formes, sont à la portée de tout le monde, où on traite et diffuse l’information à l’état brut, que l’on puise à la source, sans nécessité de passer par des tiers ou des filtres. Tout le monde peut être journaliste, rédacteur en chef, directeur de son propre journal. Tout le monde peut être reporter de guerre avec son smart phone. Tout le monde peut être producteur, réalisateur sur sa chaîne en streaming. Internet a fait voler en éclat le monopole traditionnel de l’information. Mais pas que, car si Internet ne semble avoir gagné, pour le moment, que la bataille de l’information, et pas la guerre, il n’en demeure pas moins une bataille. Ce n’est pas encore fini, le parcours est long et parsemé d’embûches, de défis, difficiles certes mais pas impossibles à surmonter. Si Internet nous permet la « libre » information, celle-ci n’est pas toujours exempte de désinformation, de ce que l’on appelle « fake news », donc forcément de manipulation. Le terrain est miné, tant les gouvernements de tous les pays s’adaptent par tous les moyens impensables à cette nouvelle bataille de l’information sur internet que l’on essaye de domestiquer, de pervertir, en la détournant de son sens et de ses buts. Ceux d’informer, de livrer un message objectif ou subjectif de « vérité ».

La question : qu’en aurait-il été de l’impact médiatique de la tragédie qui frappe présentement la Kabylie, et qui s’apparente à du génocide [ Oui, n’ayons pas peur des mots ! Il s’agit bel et bien de « destruction méthodique d’un groupe humain » ], sans la parole libérée et libératrice que l’on retrouve sur Internet ? En aurait-il été autrement, un crime parfait ?

Plus les jours passent, plus ceux-ci nous apportent des éléments nécessaires à la compréhension de ce qui s’est réellement passé ce jour fatidique à Larbaâ Nat Iraten. De l’incompréhension en fait. Car on ne saura jamais comprendre une telle barbarie, une telle sauvagerie d’un autre âge. Plusieurs hypothèses, fondées ou pas, elles restent néanmoins à prendre avec des pincettes, circulent sur les réseaux sociaux. L’une d’elles retient particulièrement l’attention. Celle qui fait dire que le jeune Djamel Bensmaïl savait trop, pour avoir filmé avec son smart phone des pyromanes pris en flagrant délit. Et qu’il avait fait savoir à ses amis (étaient-ils vraiment des amis ?!) qu’il diffuserait son témoignage sur les réseaux sociaux. Tout serait parti de là, paraît-il. Et tout s’était précipité pour faire commettre l’irréparable. Un crime des plus abjects qui me donne encore des sueurs froides à chaque fois que j’y pense. Celui que la manipulation, pour induire les foules en erreur, présentait comme un pyromane n’était en fait qu’un jeune artiste peintre, imprégné de valeurs humaines, un rêveur d’un monde meilleur dans un environnement de brutes, venu d’une autre contrée (Khemis Miliana, l’Ouest du pays) pour prêter main forte à ses semblables de la localité de Larbaâ Nat Iraten, dans leurs moments d’infortune. La frêle silhouette de Djamel, comme seraient frêles ses rêves d’un homme désabusé par tant de méchanceté gratuite, malmené dans le fourgon cellulaire de la police me hanteront à jamais. Serein, sous le choc, il demandait à comprendre ce qui lui arrivait. Peine perdue. Dans ses derniers moments de vie, il suppléait son bourreau qui lui cognait la tête répétitivement contre les parois de la cellule. Djamel lui disait que « les Kabyles ne feraient jamais ça ». Mais son bourreau insistait et lui arracha violemment son téléphone. Les cris hystériques de la foule, chauffée à blanc, qui le traitait de tous les noms, lui parvenaient de l’extérieur. Je n’ose pas, parce que je ne peux pas, me mettre une seule seconde dans la peau de Djamel en ces derniers moments de sa vie. Ce qu’il devait se dire pendant que tous les cris de haine se déchainaient sur lui. Lui qui était venu en ami prêter main forte à une population en danger de mort. Et que cette même mort le rattrapa sans qu’il ait le temps de réaliser ce qui lui arrivait. C’était les dernières images qu’on aura de Djamel en vie, pendant qu’il était rudoyé par son bourreau dans le fourgon. Des questions persistent. Qui était l’auteur de la vidéo prise dans l’angle, à l’intérieur (?) de la cellule du véhicule ? Qui était le bourreau ? Un agent, un policier en civil ? Pourquoi insistait-il tant sur le téléphone de Djamel ? Où est passé ce téléphone ? Encore une fois, pourquoi la passivité des policiers ? Les faits se déroulaient en leur présence, dans leur véhicule, à la porte du commissariat. Beaucoup se demandent pourquoi n’avaient-ils pas effectué des coups de feu de sommation pour disperser la foule. Dehors, on perçoit un certain « encadrement » d’ « éléments louches » qui coordonnaient et menaient la situation. Des « éléments » qui apparaissaient à ses côtés, quelques jours auparavant, dans d’autres vidéos. Qui passeraient pour ses amis. Ces mêmes « amis » qui le roueront de coups et le traîneront par terre, le jour de sa mort. La foule, manipulée et chauffée à blanc, ignorant être attirée dans un piège, s’est prêtée  à la scène macabre. Quand les gens reprirent leurs esprits, il était déjà trop tard. L’innommable est commis sous leurs yeux et en leur nom. Des images circulent sur les réseaux sociaux, il reste à identifier individu par individu, à préciser les gestes de chacun. Qui sont les « zélés » dans la mise à mort de Djamel Bensmaïl ? Aux dernières nouvelles, des arrestations seraient déjà effectuées. Mais ira-t-on vraiment jusqu’au bout dans cette affaire qui suscite des interrogations sur de possibles instigateurs en « haut lieu » des institutions ? Difficile d’y croire, on ne peut pas être juge et partie.

Pour revenir aux incendies criminels, provoqués en Kabylie, nous sommes encore sous le choque que nous n’en mesurons pas vraiment la portée. Aux dernières nouvelles, on parle de 213 victimes mortelles et d’incalculables pertes matérielles. Le décompte macabre est malheureusement appelé à être révisé à la hausse, vu l’envergure du drame. Les incendies continuent à endeuiller les populations qui ont tout perdu : leurs proches, leurs maisons, leurs bétails et volailles, leurs champs, leurs oliviers (symboles ancestraux de vie, de résilience, pour les Kabyles). Le Kabyle a toujours chéri l’olivier, et celui-ci le lui rend si bien avec de l’huile vitalisante et tonifiante. Le Kabyle a toujours su parler à son olivier, comme on parlerait à une personne, pour lui dire son secret. Jamais de mémoire d’homme, les Kabyles que nous sommes, avons souvenance d’une telle tragédie que nous n’en finissons pas de nous tordre de douleur, atteints jusque dans nos âmes. Nous aurions dit que les flammes se seraient acharnées sur nous, pour nous dévorer et nous faire disparaître de la face de la terre. Sauf que derrière les flammes, il y a la main réelle et criminelle de l’homme. Il ne s’agit pas de complotisme, au sens d’idées farfelues, mais bien d’un complot, d’une concertation secrète pour faire beaucoup de  mal. Ce sont des incendies criminels. Les faits parlent d’eux-mêmes. Comment expliquer l’acharnement symétrique des flammes sur les habitations, ou encore les départs persistants et synchronisés des feux. Aussi leur envergure. Ce sont des feux gigantesques et à grande échelle, non pas sporadiques, et qui requièrent donc de grands moyens pour être provoqués. Des citoyens ont pu retrouver et filmer des traînées de fuel, dans les maquis. Certains d’autres des pastilles qui seraient des accélérateurs de feu. Les autorités n’avaient pas réagi, abandonnant la population à son triste sort. Refusant même de l’aide extérieure. Dans pareille situation d’urgence, le protocole aurait dicté le bon sens. Tous les pays demandent et acceptent de l’aide internationale quand ils sont confrontés à des catastrophes. Autant de zones d’ombre qui font penser à une volonté délibérée de laisser-faire. Dire le contraire reviendrait à se voiler la face, à persister dans le déni, le refus de reconnaître une réalité traumatisante. « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde », disait l’humaniste Albert Camus (1913-1960), né lui-même sur la terre d’Algérie. Mal nommer la tragédie qui frappe la Kabylie serait ajouter à notre malheur de peuple éprouvé par l’injustice de l’Homme, du pouvoir illégitime algérien [je ne dirai pas tous les Algériens, je choisis mes mots] qui a la haine du pays kabyle et de ses habitants, les Kabyles. Mal nommer la tragédie qui frappe présentement la Kabylie serait permettre que l’horreur puisse se répéter à l’avenir. Et que nous n’aurions rien retenu de ce qui nous était arrivé.  Oui, l’ensemble des Algériens est aussi victime de ce même pouvoir illégitime, en ce sens qu’il souffre aussi des affres de sa tyrannie. L’ensemble des Algériens est aussi en proie à la manipulation et à la campagne anti-Kabyles. Nous ne trompons pas de cible. Ne regardons pas le doigt qui nous montre la lune. Mais il faut oser, de part et d’autre, se regarder de face et se dire les choses telles qu’elles sont. Ne pas le faire c’est continuer à fuir la réalité traumatisante, à faire le jeu des tyrans au pouvoir. Car maintenant nous savons que, pour exister et se maintenir indéfiniment aux commandes, la junte militaire a fait de la Kabylie son bouc émissaire. Ce n’est un secret pour personne. Ils nous diabolisent continuellement pour nous jeter à la vindicte des Algériens. Ils trouveront toujours à redire, quoi que nous fassions, pour perpétuer le statu quo, l’état actuel des choses. Ils ne voudront jamais d’apaisement, car il n’est pas dans leur plan. Au contraire, l’apaisement signifierait leur fin de règne. Ils sont bien conscients de cela. La preuve, ce qu’il s’était passé avec le jeune Djamel Bensmaïl.

Djamel était le messager empêché de dire la « vérité », il serait porteur d’une information sensible qu’il en savait trop. Il fallait l’arrêter net dans son élan de dire ce qu’il savait et ce qu’il avait vu. Aujourd’hui, nous le pleurons comme nous pleurons toutes les autres victimes des incendies criminels qui endeuillent la Kabylie. Désormais son nom aura acquis à jamais ses lettres de noblesse dans nos cœurs et notre  mémoire collective. Nous nous souviendrons de lui comme d’un homme de bien, de paix, pétri d’humanisme, qui était venu en ami nous prêter main forte en des moments difficiles. Et qu’il a payé au prix de sa vie son courage et sa bonté. Nous retiendrons aussi la dignité inébranlable de son père courage, un homme à qui on venait de ravir son fils dans des circonstances aussi traumatisantes, mais qui n’avait pas cédé à la colère. Tous les mots du monde ne sauront lui exprimer ce que nous ressentons pour lui et toute sa famille, pour la perte de leur enfant. Lui, le père abattu par le meurtre abject de son fils, et qui dit que « les Kabyles sont mes frères… Je n’ai aucun problème avec eux. » Le père de son fils, de Djamel qui disait à son bourreau : « les Kabyles ne feraient jamais ça », dans son ultime instinct de vie. Et que le père ne voulait pas qu’on instrumentalise la mort terrible de son enfant. Encore moins qu’on tombe dans la haine, et qui appelle à la sagesse. Nous souhaitons que toute la lumière soit faite un jour sur le meurtre de Djamel, pour que tout se sache. Nous voulons que les masques tombent. Ce n’est pas dans nos valeurs un tel traitement d’ingratitude et barbare envers une personne qui nous vient en ami, nous aider dans une situation de vie ou de mort.

Mes condoléances personnelles et mes pensées affectueuses à ce brave père, à la maman éplorée de Djamel, à ses sœurs et frères, à tous ses proches. Et aux gens de Khemis Miliana. Nous venons tous de perdre en la personne de Djamel un fils, un frère, un ami.

M. Z.-K.

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